Covid-19 : tout sur la “garde” des enfants entre parents séparés

COVID-19 ET « GARDE » DES ENFANTS : 10 (+1) QUESTIONS / REPONSES POUR FAIRE LE POINT

Les modalités de résidence et de droit de visite et d’hébergement entre parents séparés pendant le confinement

Par Florent Berdeaux et Antoine Debarle, avocats.

(article mis à jour le 29 avril 2020)

 

L’application des modalités de résidence des enfants en période de confinement impose de concilier le respect des décisions de justice et l’application des règles d’exception, dans l’intérêt de l’enfant.

Un communiqué de presse du Ministère de la Justice, du 2 avril 2020, apporte des précisions mais, faute de valeur légale, ne peut suffire à fonder vos décisions[1].

La perspective du déconfinement à compter du 11 mai 2020 pose par ailleurs une nouvelle difficulté.

  1. Pouvons-nous continuer à faire comme avant, et à accompagner les enfants chez l’autre parent pour son droit de visite et d’hébergement ?

Les dispositions prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire prévoient expressément la possibilité de se déplacer pour permettre le respect des modalités de résidence de l’enfant.

Il convient alors de cocher la case correspondant à cette situation dans l’attestation de déplacement dérogatoire qui prévoit cette hypothèse (garde d’enfants).

Nous vous conseillons d’avoir avec vous le jugement fixant ces modalités de résidence pour en justifier en cas de contrôle ou, à défaut, de présenter une preuve que vous êtes des parents séparés et que vous avez un accord sur la garde de l’enfant (mail, sms). Les trajets d’un domicile à l’autre doivent toutefois être effectués par un seul parent accompagnant.

 

  1. Un parent refuse d’appliquer le jugement et prétend garder les enfants à son domicile : est-ce possible ?

Les décisions de justice continuent de s’appliquer intégralement : le confinement n’a pas pour effet d’en suspendre les termes ni de les rendre caduques, et il ne s’agit pas non plus d’une période assimilable à des vacances scolaires (sauf, précisément, aux dates de celles-ci.)

Les parents doivent donc continuer à respecter les modalités de résidence de l’enfant fixées dans un jugement et il n’est pas possible de décider, unilatéralement, de s’en dispenser. A défaut, une plainte pour non présentation d’enfant est possible.

Toutefois, l’intérêt supérieur de l’enfant qui prime sur toute autre considération pourrait commander de s’opposer à l’application d’une décision de justice en refusant, par exemple, que l’enfant aille chez un parent malade ou un parent qui vit avec une personne malade ou en refusant de multiplier les déplacements qui multiplient aussi les risques de contamination.

Nous vous conseillons de conserver une trace écrite de vos échanges avec le parent qui refuserait de vous remettre l’enfant au seul motif que la période actuelle est particulière, sans justifier des conditions pour lesquelles il serait légitime de ne pas respecter le jugement.

 

  1. Un parent refuse d’appliquer le jugement, mais propose une modification temporaire des modalités

En principe, une décision ou une convention relative aux modalités de résidence de l’enfant prévoit que les mesures sont prises « à défaut d’accord ». Les parents sont donc toujours libres de choisir d’appliquer des modalités différentes de celles inscrites dans la décision ou leur convention, s’ils sont d’accord.

Vous pouvez donc décider de suspendre un droit de visite, de réduire la fréquence des changements de domiciles mais en prévoyant des périodes d’hébergement plus longues (une résidence alternée toutes les deux semaines, un droit de visite et d’hébergement qui ne s’exercerait qu’une fois dans le mois mais sur une semaine ou cinq jours d’affilée etc.)…

Vous pouvez aussi vous organiser pour conserver le lien entre l’enfant et celui des parents qui ne le voit pas en prévoyant par exemple, des visioconférences régulièrement (Skype, WhatsApp Vidéo, FaceTime etc.).

Il serait également possible de prévoir une compensation ultérieure sur le droit de visite et d’hébergement du parent qui aurait moins vu l’enfant pendant cette période.

Il conviendra de privilégier les accords écrits (il peut s’agir de simples SMS) et de conserver une trace de ces échanges pendant cette période, si les rapports entre parents ne sont pas parfaitement amiables.

 

  1. Ce sont les vacances scolaires : comment fait-on ?

Avant toute chose, le confinement empêche les trajets pour partir en vacances et vous devez, en principe, rester à votre domicile.

En revanche, les jugements s’appliquent normalement et les modalités de résidence de l’enfant fixées pendant les vacances scolaires ont vocation à être respectées : chaque parent doit donc recevoir l’enfant pendant sa période de vacances.

Si une adaptation des modalités de résidence et de droit de visite a été prévue, les vacances peuvent ainsi être l’occasion de profiter d’une plus longue période avec le parent qui aurait moins vu l’enfant depuis le début de la période de confinement, pour compenser un droit de visite et d’hébergement moins régulier par exemple.

4bis – Mise à jour : L’autre parent et moi ne sommes pas d’accord sur le retour de notre enfant à l’école après le 11 mai 2020. Qui a le dernier mot ?

Le gouvernement a annoncé la réouverture progressive, et selon des distinctions géographiques, des écoles, sur la base du volontariat : il n’y aura donc aucune sanction administrative en cas de refus.

Néanmoins ce volontariat ne permet pas de déroger aux règles de l’exercice conjoint de l’autorité parentale : décider de faire reprendre les cours à son enfant, ou non, nécessite un accord des deux parents.

En cas de désaccord, la scolarité étant obligatoire en France, elle reste le principe : on peut imaginer que le parent qui souhaite que l’enfant reprenne le chemin de l’école soit celui qui doive avoir le dernier mot ; il est toutefois probable que l’école, informée d’un désaccord, refuse l’accès de l’enfant tant que les deux parents ne le lui confirment pas.

Sur cette question, comme sur les autres, il faudra privilégier une discussion amiable en considérant la persistance du risque, qui sera notamment fonction de l’âge de l’enfant et de sa capacité à respecter lui-même les gestes barrière, mais également de la capacité des parents à poursuivre la scolarité à la maison. Si l’un des parents doit retourner à son bureau, on pourra penser que la scolarisation redevient la règle, à moins qu’un accord conduise à laisser l’enfant résider chez son autre parent qui, lui, peut rester confiné.

La reprise de l’activité judiciaire étant très progressive, elle ne permettra pas d’apporter une réponse rapide : là encore, la médiation et l’aide d’un avocat permettront de vous aider à régler cette crise très ponctuelle.

  1. Je suis un « parent social », sans lien de filiation avec mon enfant que j’élève : que faire ?

De nombreux parents (par exemple dans les familles homoparentales) n’ont pas de lien de filiation officiel avec leur enfant.

Dans la mesure où une décision de justice reconnait un droit de visite et d’hébergement à un « parent social », cette décision doit s’appliquer dans les conditions développées ci-dessus, comme pour un parent dont le lien de filiation juridique est établi. A défaut, une plainte pour non présentation d’enfant pourrait être déposée.

 

  1. Et la pension alimentaire ? Est-elle toujours due ? Peut-elle être adaptée ?

Le confinement est indépendant de la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants. Si une pension alimentaire a été fixée, celle-ci est due, 12 mois sur 12.

Le défaut de paiement intégral de la pension alimentaire pendant plus de deux mois constitue l’infraction pénale d’abandon de famille, punie de deux ans d’emprisonnement et 15 000 € d’amende et une plainte pourrait être déposée.

Les parents peuvent, si nécessaire et s’ils sont d’accord, adapter la répartition des frais dans l’hypothèse où la situation créée un déséquilibre entre la prise en charge des enfants ou si un parent connaît une chute brutale de revenus.

Cet accord ne vous protège toutefois pas d’une plainte ou d’une action civile après la fin du confinement et ne repose que sur la confiance que chaque parent se manifeste.

Il est important de conserver une trace écrite de cet accord et, le cas échéant, de faire homologuer cet accord par le juge, rétroactivement, après la fin du confinement.

 

  1. Nous ne sommes jamais passés devant le juge et aujourd’hui l’autre parent décide seul

L’absence de décision judiciaire ne signifie pas que vous n’avez aucun droit.

L’autorité parentale est exercée conjointement par les parents, ce qui signifie que chaque décision relative à l’enfant doit être prise avec l’accord de l’autre parent. Chaque parent doit également permettre et faciliter la communication de l’enfant avec l’autre parent et doit, lui-même, communiquer à l’autre parent des informations sur la santé, la scolarité etc. de l’enfant.

Les modalités de résidence et de droit de visite doivent donc être fixées ensemble et ne peuvent pas être imposées par l’un des parents à l’autre. Toutefois, à défaut de jugement sur les modalités de résidence de l’enfant, vous n’aurez d’autre choix que de parvenir à un accord avec l’autre parent pour définir ensemble ces modalités.

Nous vous conseillons de conserver la trace des échanges avec l’autre parent pendant cette période, lesquels démontreront le respect ou non de l’exercice conjoint de l’autorité parentale.

 

  1. Et les grands-parents ? Peuvent-ils exiger de voir les enfants ?

A titre préalable, les grands-parents font partie de la catégorie de population la plus fragile face aux effets du Covid-19. L’exigence de voir ses petits-enfants, laquelle constituerait un risque majeur pour leur santé, ne serait pas dans leur intérêt.

Néanmoins, d’un point de vue strictement juridique, le décret n°2020-293 du 23 mars 2020 ne prévoit pas cette possibilité.

En revanche, une décision de justice qui reconnaitrait un droit de visite et d’hébergement au profit des grands-parents aurait vocation à s’appliquer, dans les mêmes termes, et avec les mêmes nécessités d’adaptation, qu’un droit de visite fixé au profit d’un parent.

 

  1. Puis-je saisir la justice ou porter plainte en cas de difficulté ?

Dans la mesure où les décisions sont toujours applicables, l’infraction de non-représentation d’enfant, punie d’un an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende, sera constituée et un parent pourrait porter plainte.

La pré-plainte en ligne n’est pas possible pour ce type d’infractions et le parent devrait se déplacer au commissariat. Pour rappel, les officiers et agents de police judiciaire sont tenus de recevoir les plaintes déposées par les victimes d’infractions à la loi pénale et n’ont pas le droit d’opposer leur refus. Il conviendra, le cas échéant, d’insister.

Toutefois, si le dépôt de plainte n’est pas, matériellement, possible, vous pourrez la déposer plus tard, puisque l’infraction de non-représentation d’enfant se prescrit au bout de 6 ans.

Il ne sera, en revanche, pas possible de saisir le juge aux affaires familiales en urgence dans la mesure où l’appréciation de ce critère de l’urgence est très stricte (il serait peut-être possible de soutenir que la rupture du lien avec l’enfant est un cas d’urgence) et que les juridictions ont une activité ralentie. Il convient de vérifier, auprès de chaque tribunal, la définition de ce qui constitue une urgence ou non.

Pour le court terme, la meilleure solution reste, si cela est possible, de parvenir à un accord amiable et de recourir à un avocat à cette fin si le dialogue direct entre parents n’est pas possible.

 

  1. Comment trouver puis encadrer juridiquement nos accords temporaires

Les cabinets d’avocats travaillent pendant le confinement, par le biais du télétravail, et peuvent organiser des rendez-vous communs entre les parents et les avocats, voire faire intervenir des médiateurs en urgence par visioconférence.

A défaut, une lettre d’avocat peut conduire l’autre parent à prendre conscience de sa responsabilité et l’amener à entrer en discussion

Il serait également possible de rédiger un pacte de famille qui encadre la période et évite les dépôts de plainte.

 

Les avocats traversent la crise avec vous ; nous sommes, dans notre cabinet, formés au droit collaboratif, à l’accompagnement en médiation et à tous les modes amiables de règlement des litiges qui vous permettront de résoudre votre difficulté avec intelligence et sensibilité, plutot que dans un cadre contentieux à envisager en dernier recours.

Nous restons disponibles pour vous aider à trouver un accord dans l’intérêt de toute la famille.

Prenez soin de vous, de vos enfants et #RestonsChezNous

 

[1] http://www.justice.gouv.fr/la-garde-des-sceaux-10016/droit-de-visite-et-hebergement-des-enfants-pendant-le-confinement-33046.html